Au moment de sa conversion au bio, René Digard, éleveur laitier dans la Manche, a mis rapidement en place le pâturage tournant dynamique, en paddocks de 12 heures, pour ses 60 vaches. Ce passionné de la race brune qui vend des reproductrices cherche un certain niveau de productivité des surfaces et des animaux.
SAU : 88 ha, dont 56 ha de prairies pâturables, 14 ha de méteil grain, 18 ha de prairies de fauche temporaire en méteil grain
Troupeau : 60 vaches laitières de race brune et quelques prim’holstein
Production : 280 000 à 300 000 litres de lait livrés (référence : 400 000 litres)
Valorisation : agriculture biologique certifiée depuis mai 2020
René Digard élève une soixantaine de brunes à quelques kilomètres de Cherbourg, dans le département de la Manche. Ses terres sont argileuses, limoneuses et caillouteuses, dans un contexte très séchant, avec des pentes à 11 % par endroits (la ferme s’appelle « Les Petits Monts »).
Jusqu’à récemment, son système était basé sur le maïs, avec juste une dizaine d’hectares de prairies pâturées. René Digard a changé complètement d’optique il y a trois ans, en lançant la conversion de son élevage à l’agriculture biologique : « Il fallait réapprendre à exploiter l’herbe et j’ai fait des recherches sur les techniques de pâturage. »
Après avoir suivi, fin 2017, une formation organisée par Pâturesens, il a supprimé le maïs de son assolement et a posé pas moins de 13,5 kilomètres de clôtures : « Je prends le temps qu’il faut pour réfléchir, mais quand je suis prêt, cela va vite avec moi. » L’année suivante, six kilomètres supplémentaires de clôtures sont venus compléter le schéma et il en reste désormais à peu près autant à faire pour que les 60 hectares de prairies soient complètement aménagés en paddocks : « Les clôtures, c’est du boulot, mais après, c’est de l’or. On a juste une porte à ouvrir toutes les douze heures. »
L’opportunité du pacte de biosécurité l’amène en plus à remblayer un chemin d’accès sur 1,6 kilomètre. Il bénéficie d’aides pour cet investissement. Chez René, les vaches marchent jusqu’à deux kilomètres pour arriver à leur paddock : « Les brunes aiment marcher. J’étais un peu sceptique avant de démarrer, mais je m’aperçois que plus elles marchent, mieux elles se portent. »
Le réseau d’eau est également en place. Les tuyaux sont posés dans tout le parcellaire et René a choisi de placer un ou deux bacs de 1000 litres par îlot, chaque bac servant à deux paddocks à la fois : « Je déplace un bac chaque jour. Je préfère faire comme ça, car je tiens à ce que l’eau soit toujours très propre. »
Dès le départ, René est parti sur des paddocks de 12 heures pour les vaches laitières : « Je trouve que ça apporte de la régularité pour les vaches. Elles partent tranquillement au pré, car elles ont compris qu’après chaque traite, elles trouvent un nouveau paddock. Et je vois à l’œil que, dès le lendemain du passage des animaux, la repousse a commencé. » Les paddocks font 0,33 ha pour un lot de 60 à 65 vaches. « Quand on part dans ce système, il faut y croire », commente-t-il.
Les vaches non plus n’ont pas mis longtemps à s’adapter. En quatre à six semaines, elles avaient changé de comportement : « La première année, il y a eu une grosse période de pluie et je leur laissais un accès libre au bâtiment. Mais elles ne revenaient pas et je les trouvais couchées dans l’herbe ou appliquées à pâturer. C’est donc qu’elles sont bien. » Les 60 génisses, pour leur part, tournent tous les trois ou quatre jours sur des paddocks de 1 à 1,5 ha.
« En trois ans, les pâtures ont changé du tout au tout et je suis très satisfait du résultat. » René trouve la flore magnifique. La valeur en PDIA a progressé de 5 à 6 points et l’herbe apporte aussi plus de sucres. Cependant, l’entérotoxémie et la météorisation sont devenues ses sujets de préoccupation, car il a vraiment beaucoup de trèfles dans une grande partie de ses parcelles. Il conseille de vacciner les vaches contre l’entérotoxémie : « Le coût est très vite rentabilisé si on considère le risque de perdre une vache. » René a perdu plusieurs vaches à cause de la météorisation à l’automne : « Au printemps, je gère les excès de trèfles en faisant assez souvent du topping. Cela représente des frais de mécanisation mais évite de perdre des animaux. A l’automne, c’est plus difficile, car je n’ai pas de fourrage à leur faire ingérer avant l’entrée sur les paddocks. Je vis donc avec le risque de météorisation. »
Avant, c’était début juin que l’herbe ne poussait plus. Depuis qu’il pratique le pâturage tournant dynamique, il n’a pas besoin d’affourager avant le 15 juillet et René pense pouvoir gagner encore 15 jours de plus. Et c’est dès mi-janvier que le déprimage peut commencer, si le sol tient bon. Au 15 février, les vaches sortent toute la journée, puis dorment dehors à partir de début mars. « Bon, ce début de printemps 2021, je cours après l’herbe comme bien des éleveurs, car il manque de la chaleur. Les vaches sont à nouveau en bâtiment la nuit et je fais pâturer des paddocks destinés à l’origine à l’ensilage. »
Les prairies pâturées sont composées à 50 % de RGA, avec une variété tardive et une variété très tardive, avec une fléole, une fétuque des prés, un pâturin des prés, une fétuque rouge et deux variétés de trèfle blanc et une de trèfle violet tardif (semis à 30 kg/ha).
Les récoltes se font sur les 18 hectares de prairies temporaires que René fauche toutes les cinq semaines au printemps. Il fait aussi un peu d’enrubannage et de foin pour pouvoir en donner aux vaches au printemps, avant qu’elles ne sortent. Une partie de ces surfaces est composée d’un mélange « estival » avec 30 % de luzerne flamande, 5 % de plantain et 5 % de chicorée, associés à du RGA, de la fétuque élevée, de la fléole et trois trèfles.
Il arrive aussi à René de faucher les paddocks des vaches laitières, et pas qu’un peu. L’an dernier, sur un îlot de 25 hectares, 10 hectares ont été récoltés fin mai : « En travaillant bien le pâturage, on a vraiment des marges de progrès importantes », s’enthousiasme-t-il.
René n’est pas pour autant dans l’objectif du 100 % herbe et il pense d’ailleurs refaire un peu de maïs, car il estime que la ration d’hiver présente un déficit en énergie pour atteindre le niveau de performance qu’il vise. Le problème qu’il rencontre pour l’instant est qu’il aurait besoin d’une bineuse et/ou d’une herse étrille en bio, mais ses voisins de la CUMA ne sont pas dans cette démarche.
La ration hivernale se compose d’ensilage d’herbe avec 2 ou 3 kilos de méteil grain. En rotation avec ses 18 ha de prairies de fauche, René cultive une association féverole/épeautre en hiver et une association orge/pois au printemps (derrière un colza semé fin août en cassant les prairies). Ce méteil grain lui apporte l’autonomie pour complémenter son troupeau.
Les vêlages sont répartis sur toute l’année pour éviter un pic de travail et assurer une livraison de lait linéaire.
René met ainsi en place un système bio et productif à la fois, tant au niveau des surfaces que des animaux. Avant le passage en bio, la moyenne du troupeau s’établissait autour de 7 500 litres de lait. En changeant de système, elle est descendue à 4 500 litres. Avec une meilleure maîtrise technique, il a déjà regagné 1 000 litres par vache en deux ans : « J’estime pouvoir arriver à 6 000 voire 6 500 litres quand je vois le potentiel du pâturage tournant dynamique. J’ai aussi besoin de performance dans la phase d’élevage, car j’élève un maximum de génisses dans l’objectif de les vendre en reproductrices bio. » Pour l’instant, les génisses vêlent à 30 mois en moyenne et il cherche à descendre à 27 mois.