
Kévin s’est installé en 2014, à l’âge de 20 ans, à Vroil, dans le 51. Impossible pour lui de s’installer sur la ferme familiale en polyculture et élevage allaitant : son père est loin de la retraite et la structure ne permet pas de dégager deux revenus. Il ne souhaite pas attendre et décide alors de chercher une exploitation où les cultures, “son cœur de métier”, seraient la base de son système, l’élevage “n’étant pas son truc”. Cependant, nous verrons que la vie réserve parfois des surprises !
Quand je lui demande dans quel état d’esprit il était, à 20 ans, à l’idée de s’installer seul, il répond : “Je n’avais pas peur, ce n’est pas dans mon caractère. C’est ce que je voulais depuis tout petit, donc il fallait que je trouve une solution.” Son caractère affirmé et volontaire va lui permettre de transformer son système rapidement, c’est ce que nous allons voir dans cet article.
EN BREF
- 200 bovins
- Taureau Aubrac sur des croisements charolaises-limousines
- Taux de renouvellement : 25 % (sélection importante pour optimiser le système)
- Mâles vendus en broutards
- 65 ha PN : système techno 24 heures ou pâturage continu selon les besoins des animaux et la saison
- 25 ha PT : 6 mois de chicorée (autoproduction) pour passer l’été, trèfle violet, RGH + TV
- 60 ha de cultures : soja, colza, blé, avoine
- Ferme 100 % en semis direct
- Mise à l’herbe : mi-mars/début avril (facteur limitant la portance avec des sols très argileux)
- Retour en bâtiment pour les vêlages : le 15 novembre ou le 15 décembre selon le cycle
Dates | Remarques | |
Mise à la reproduction – Monte naturelle | 5 février | 8 semaines avec le taureau : 80 % à la 1re saillie et quasi 100 % à la 2e saillie.
Si vide, n’est pas gardée. |
Vêlages | Du 15 novembre au 1er janvier | En bâtiment, en novembre pour le 1er cycle et en décembre pour le 2e cycle.
Les faire rentrer en deux lots lui permet de libérer la place dans le bâtiment et d’éviter les problèmes sanitaires. |
Après les vêlages | Janvier à mi-mars | Les veaux en bâtiment ont du foin de trèfle dans des cases pour préparer la mise à l’herbe.
Facteur limitant la portance : sol très argileux. Mise à l’herbe mi-mars/début avril. |
Sevrage | Objectif fin juin | 6-7 mois
Les femelles (objectif 250-300 kg) vont sur les chicorées/TV. Les broutards en pâturage continu puis vendus au sevrage. |
Les vaches en tarissement | été | Faible besoin en stock sur pied pour les PN : 24 heures/paddock, 10 ares/vache pour 2 mois. |
Les génisses de 12 mois | Au 1er décembre | Rentrent en bâtiment : enrubannage des PN des fauches de printemps, du système techno au stade de qualité. |
Saillie des génisses | Février N+1 | Entre 15 et 16 mois : objectif vêlages 24 mois. |
2012 – 2014 : A la recherche de la ferme
En 2012, Kévin cherche une exploitation céréalière. « Mon cœur de métier et ma passion, c’étaient les cultures à l’époque et je voulais faire de l’agriculture de conservation car, pour moi, c’est l’avenir.” Après une année de recherche, il trouve une ferme avec des terres qui correspondent à ce qu’il veut faire, mais avec aussi un atelier bovin permettant de sécuriser économiquement l’exploitation. Le système est très classique pour la région : atelier bovin charolais et quelques génisses limousines, avec un système de nourrisseur à veaux et une finition au concentré. Le pâturage est continu, sans stratégie d’optimisation. Du côté des cultures : maïs, blé, avoine (pour les veaux), prairie temporaire, fauche pour de l’enrubannage l’hiver.
2014 : Faire de l’agriculture de conservation et discuter la conduite de l’élevage

Dès son installation, Kévin revoit son assolement, ses rotations et ses intercultures pour mettre en place l’agriculture de conservation. « C’était ma priorité, travailler à remettre en route mes sols.”
Ensuite, concernant l’élevage, il s’interroge sur ses conditions de travail : “Faire accepter les veaux à leur mère, à genoux dans un bâtiment, passer mon temps à distribuer de l’alimentation, me réveiller la nuit pour les vêlages, etc. Je me suis demandé si dans 20 ans, et même dans 10 ans, j’aurais encore envie de ça.” La réponse est sans appel : NON. C’est aussi la rentabilité de l’atelier qui est remise en question. Selon lui, la marge est trop faible pour toute la responsabilité, la pénibilité et le temps de travail requis pour faire tourner l’atelier.
Ainsi, un an après son installation, en 2015, il cherche à rationaliser la gestion de son pâturage. « Je commence par bricoler un fil avant et un fil arrière et je voyais déjà des choses intéressantes, comme moins de temps en bâtiment, des prairies qui réagissent… Je voulais creuser.”
2015 : Définir les finalités de l’atelier élevage
En novembre 2015, il rencontre Shane Bailey de Paturesens, qui vient faire une formation sur l’optimisation du pâturage dans le secteur, à la demande de plusieurs éleveurs ovins et bovins. “Shane est venu à la maison, il a été provocateur avec moi, il avait bien compris que je fonctionne comme ça. Il m’a lancé des piques du genre : “Tiens, ça sert à quoi un bâtiment ? Pourquoi tes bêtes ne sont pas dehors ? Et pourquoi la charolaise ?” Je n’ai pas tout pris au premier degré, mais il avait semé la petite graine !“
Ainsi, au printemps 2016, Kévin travaille en collaboration avec Shane pour restructurer l’atelier élevage, revoir les chiffres, identifier les marges de manœuvre pour répondre à ses finalités :
- marger un maximum sur l’atelier élevage ;
- réduire le temps et la pénibilité du travail ;
- simplifier au maximum la conduite de l’élevage ;
- créer une synergie culture/élevage (fertilisation des sols, valorisation des couverts…).
2016 : Les premiers pas vers l’optimisation de la gestion du pâturage
Après avoir “bricolé” en 2015, selon l’expression de Kevin, en 2016, il commence à structurer son système de pâturage. Il implante de la chicorée, du plantain, des flores dites estivales, du trèfle blanc et violet pour faire pâturer les animaux. Il débute l’engraissement 100 % à l’herbe, sort plus tôt au printemps et rentre un peu plus tard l’hiver.
Suite aux conseils de Shane Bailey, il achète un taureau Aubrac et croise ses limousines et ses charolaises pour rechercher un effet d’hétérosis. La race Aubrac est plus légère et plus rustique, sans oublier leur facilité de vêlage qui permet d’améliorer les conditions de travail. “Intervenir sur les vêlages, j’en avais marre. De toute façon, plus l’homme intervient et plus c’est la pagaille.” Kévin vante aussi la qualité de la viande.
Une meilleure maîtrise technique pour des résultats en amélioration
En 2017, les résultats de l’engraissement à l’herbe sont satisfaisants “malgré le regard inquiet de certaines personnes ne voyant pas des animaux engraissés en bâtiment et au concentré !”
En 2018, la première sécheresse contraint Kévin à aller plus loin dans l’optimisation et à faire pâturer tout ce qu’il peut sur la ferme : “Ça pousse à être opportuniste.”
A la mise à l’herbe au printemps 2020, il commence le pâturage tournant dynamique avec les mères et leurs veaux.
La gestion de la chicorée et des couverts
Au printemps, est semée la chicorée qui sera exploitée en pâturage l’été. Elle est autoproduite sur la ferme. Les animaux sont sur la chicorée jusqu’au 1er octobre, ensuite Kevin fait un semis de blé en direct. Il cherche aujourd’hui à optimiser l’utilisation des intercultures (couverts des sols entre deux cultures) en pâturage pour allonger la saison et fertiliser ses sols, en évitant au maximum la mécanisation. La ferme est 100 % en semis direct.
Taux de mortalité et de fécondité en amélioration
En deux ans, le taux de mortalité est passé de 15 à 5 %. Plusieurs raisons expliquent ces chiffres, selon Kévin : « J’ai, depuis 2016, misé sur une stratégie de sélection que certains qualifient de drastique. Mais aujourd’hui, les résultats sont là. Les vaches sont adaptées à mon système, elles vêlent sans difficulté et sont en bonne santé. Tout le monde s’en porte mieux.” Il apporte aussi une complémentation minérale plus rigoureuse. Il ne veut rien laisser au hasard.
Ensuite, Kévin met en avant la restructuration de l’atelier, avec des interventions planifiées sur le troupeau et une conduite plus homogène des lots. Cette conduite en lots permet de mieux répondre aux besoins alimentaires des animaux selon leur stade physiologique.
En deux ans, il est également passé de 60 à 80 % de femelles gestantes au premier cycle. Au deuxième cycle, il atteint quasiment les 100 %.
Amélioration de la flore et de la productivité des prairies
Aujourd’hui, sur ses prairies naturelles en système techno, il produit en moyenne 12 tonnes de MS, soit une augmentation de 30 % en 3 ans. Le pâturage améliore la fertilisation des sols, avec une bonne répartition des bouses, tout en réduisant les frais de mécanisation.
L’atelier d’élevage est devenu une priorité
Kévin souligne que, d’un point de vue économique, un ha d’herbe est plus rentable qu’un ha de culture dans son système. « Dans mon système, l’élevage est plus intéressant économiquement, même si les deux ateliers sont liés. C’est pourquoi, aujourd’hui, j’en fais ma priorité. Pour moi, l’élevage, c’est l’avenir, contrairement à ce que nous pouvons entendre partout. Mais, bien sûr, il faut bien penser sa conduite et son système. L’élevage sera aussi une solution pour régénérer nos sols et se préparer à des réglementations de plus en plus strictes concernant la conduite des grandes cultures.”
Si Kévin n’était pas un « éleveur né », il s’est donné les moyens d’apprendre à le devenir en se questionnant sur son système, en définissant ses finalités et en allant chercher les compétences dont il a besoin pour performer dans son atelier. Dès 2017, fier de sa production, il a commencé la vente directe. En 2018, il a vendu 25 animaux, mais en 2020, pour une question de temps, il n’en a vendu que 8. Cependant, Kévin n’a pas dit son dernier mot et de nouveaux projets se trament à la ferme.
Pour conclure :
En 2020, Kévin a participé au voyage en Nouvelle-Zélande organisé par Paturesens, pour élargir encore sa vision et trouver des solutions, notamment dans la gestion du changement climatique. Il est conforté dans ses décisions et sait qu’il lui reste beaucoup de marge de manœuvre pour aller plus loin dans son système.
Kévin ne ferait pas marche arrière : “Aujourd’hui, c’est un plaisir d’être avec les animaux. Je sens que je construis un système de plus en plus cohérent, avec une vraie complémentarité élevage/culture.”

Pistes d’amélioration et projets :
- conduite des mâles en bœufs comme les femelles ;
- faire vêler au 15 octobre en plein air ;
- en cohérence avec la stratégie de faire de l’atelier viande une priorité, Kévin souhaite clôturer toute la périphérie en HighTensile et mettre en place des abreuvoirs fixes dans les systèmes techno pour réduire le temps de travail au quotidien ;
- débrayer davantage au printemps ;
- pour l’atelier culture, gérer la sécheresse et les insectes ;
- développer un atelier vente directe avec une personne en plus sur la ferme, peut-être sa compagne ;
- partenariat avec deux boucheries pour 2021.
Conseils de Kévin :
- sortir des sentiers battus et aller voir ce qui se fait ailleurs ;
- s’entourer des bonnes personnes pour vous aider à atteindre vos objectifs ;
- clarifier ses finalités pour ne pas s’épuiser ;
- ne pas hésiter à revoir la structuration de l’élevage sur sa ferme pour identifier les marges de manœuvre.