Quand la passion de l’élevage rime avec stratégie et précision technique
EN BREF
- trois lots d’animaux sur 280 ha de février à mi-juillet, avec des rotations entre 24 et 72 heures : les veaux sevrés (sur 80 ha en système techno), 78 mères Gasconnes avec la suite, 46 mères Angus avec la suite ;
- deux lots pré-engraissement et engraissement sur 10 ha de parcelle « parking » ;
- vêlages plein air groupés de mi-janvier à fin mars ;
- objectif poids vif : 650-700 kg ;
- objectif poids carcasse : 380 kg ;
- sol : très superficiel mais portant ;
- trois UTH ;
- frais vétérinaires : 8 euros/UGB ;
- complémentation minérale : 16 euros/UGB ;
- les 280 ha de prairies naturelles sont réservés aux animaux aux plus forts besoins physiologiques.
Il y a six ans, en plein cœur des Corbières (entre 300 et 500 m d’altitude), au sud-est de Carcassonne, à la ferme de Fajac, d’irréductibles passionnés d’élevage se sont lancés le défi de produire « la meilleure viande bovine possible, le plus naturellement possible ». L’herbe est ainsi apparue comme l’aliment privilégié pour répondre à cette ambition.
L’objectif défini sur le papier, de retour sur le terrain, une question ne peut être évitée : comment faire reposer un système alimentaire sur l’herbe dans une zone aride, avec des sols qui ne permettent pas d’envisager de grands rendements ?
Rome ne s’est pas faite en un jour. La ferme de Fajac a connu des moments difficiles : une gestion fourragère pas toujours optimisée faute de recul sur le système et des problèmes d’infertilité sont venus pénaliser les résultats techniques.
Il y a cinq ans, le système d’élevage dans son ensemble a été revu et cela a porté ses fruits.
Aujourd’hui, même si des améliorations sont encore nécessaires, nous pouvons dire que ces irréductibles passionnés n’ont pas à rougir de leurs résultats.
Qu’est-ce qui favorise une telle réussite ? Voici la réponse en 4 points : le débouché commercial, la cohérence, la précision technique, le plaisir.
Le débouché commercial
Quentin Alteyrac, embauché depuis deux ans en tant que salarié responsable d’élevage, rappelle que le projet d’origine s’est construit autour de la possibilité de vente directe auprès de bouchers parisiens. “C’est pour cela aussi que nous n’avons pas le droit à l’erreur sur la qualité de notre viande et sur notre mode de production, mais nous savons à l’avance où nous allons économiquement. C’est un engagement gagnant-gagnant avec nos partenaires.”
Le débouché en circuit court était déjà validé avant l’arrivée des premiers animaux. Tout était pensé en amont. « C’est un atout considérable, surtout au lancement », souligne Quentin. Cependant, il explique qu’aujourd’hui, quatre ans après et avec une meilleure maîtrise du système pâturant, le projet pourrait aussi être rentable en débouché classique avec quelques modifications stratégiques et techniques, notamment concernant la gestion des veaux après sevrage pour améliorer les croissances.
Deux animaux sont vendus par semaine. Ils ont entre 24 et 36 mois. Concernant les mâles, l’âge ne doit pas excéder 30 mois pour assurer la qualité de la viande (collagène).
La cohérence
Le nombre d’UGB/ha doit être cohérent avec les ressources disponibles. La ferme de Fajac représente 780 ha, avec 280 ha de prairies naturelles, où les rendements varient entre 3 et 6 tonnes/an d’herbe, 300 ha de garrigue à une tonne et 200 ha de forêt. 70 ha sont loués pour la fauche de foin de luzerne.
Il y a 120 vêlages par an : 75 vaches Gasconnes, 45 Angus et 9 taureaux Angus. L’objectif est de monter à 135 vêlages.
Tous les animaux sont élevés à la ferme. Les mâles castrés à la naissance sont conduits comme les femelles pour faciliter le travail. Le chargement à l’hectare est d’un UGB.
Stratégie alimentaire et conduite en lots
“Il faut travailler avec tout ce qui pousse de la prairie naturelle à la garrigue. Tout s’améliore grâce à la gestion rigoureuse du pâturage et donc grâce aux vaches. Elles nettoient, elles stimulent la pousse et nous, on coordonne tout cela. En seulement deux ans, j’ai vu la qualité de la flore s’améliorer. C’est impressionnant et gratifiant, d’autant plus qu’il y a seulement six ans, l’exploitation était en friche.”
De février à mi-juillet, 320 animaux tournent sur les 280 ha de prairies naturelles au potentiel variant de 3 à 6 tonnes de MS/ha. Les rotations ont lieu toutes les 24 à 72 heures, jamais au-delà pour les vaches. Du foin de luzerne peut être apporté pour les animaux à forts besoins.
“Les animaux sont conduits en cinq lots, ce qui permet une plus grande précision et une simplification de la gestion de l’alimentation. Le tout est de jongler entre les besoins physiologiques des animaux, le respect de la pousse de l’herbe, le climat et les ressources disponibles.”
La stratégie alimentaire ne peut être pensée indépendamment de la conduite du troupeau dans ce système exigeant. Si nous devions schématiser la démarche, voici ce que cela donnerait :
- Quelles sont les ressources alimentaires disponibles en quantité et en qualité et à quelle période ? Nous ne maîtrisons que très peu ce paramètre parce qu’il dépend des conditions pédoclimatiques.
- Identifier les différents lots d’animaux et leurs besoins physiologiques selon les périodes.
- Identifier le plus gros lot au plus fort de ses besoins, car la ressource devra être suffisante en qualité et en quantité.
- Organiser la conduite des animaux en fonction de la ressource.
Ainsi les vêlages sont regroupés de mi-janvier à mars au maximum.
Après les vêlages, les mères et leurs veaux profitent de la pousse de printemps sur les prairies permanentes, de février jusqu’à fin juin ou début juillet, selon le climat.
Le sevrage des veaux autour de cinq mois est conditionné par leur poids (220 kg) mais aussi par le climat. Il faut prendre des décisions rapidement pour garantir l’équilibre global du système. Dans des situations de sécheresse extrême comme nous en connaissons depuis quatre ans, il faut trouver un compromis entre les objectifs techniques de la production animale et le maintien d’un stock alimentaire suffisant pour la fin de la saison et la relance de celle-ci.
S’adapter au climat : stratégie du stock sur pied
Le point très critique est la gestion de la période estivale qui s’étend d’année en année. Par exemple, en 2019, la pluviométrie était de 500 mm, dont deux fois 100 mm. Ces conditions difficiles n’arrêtent pas ces irréductibles passionnés.
L’obsession de Quentin est d’anticiper en favorisant le stock sur pied dans la garrigue et dans les prairies naturelles. L’été se prépare déjà à l’entrée du printemps.
Durant la pleine pousse de fin avril à mi-mai, Quentin favorise le stock sur pied dans les prairies et la garrigue, qui sera consommé en été. À cette période, l’herbe en dormance ne sera pas impactée par un pâturage de plusieurs jours. Les vaches en tarissement, une fois séparées de leurs veaux, en profiteront.
Des animaux adaptés aux objectifs
Au début du projet, la race Angus avait été choisie pour la qualité de sa viande qui répondait aux besoins des bouchers et à leur stratégie clientèle. Cependant, les vaches Angus ont vite montré des limites dans ce système. Elles souffrent de la chaleur, elles sont peu efficaces pour valoriser le stock sur pied, elles gèrent moins bien les variations d’état. Il a donc été décidé d’intégrer de la Gasconne, plus rustique et adaptée au terroir. Elles sont croisées avec un taureau Angus pour la viande.
La précision et le suivi techniques
La pesée
Quentin insiste : “Sans un suivi rigoureux qui permet d’anticiper mais aussi de prendre des décisions rapidement, le système ne tiendrait pas. C’est ce qui manque à beaucoup d’élevages allaitants.”
Cette précision technique passe par ce que Quentin appelle “la base de tout élevage bovin viande” : la pesée des veaux tous les mois à partir du sevrage jusqu’à la vente. Sans cette pesée, impossible d’évaluer si le système alimentaire est performant. La pesée permet de jauger la situation. Elle permet de réagir rapidement à la moindre baisse de performance, donc d’éviter de perdre de l’argent, mais aussi d’optimiser la conduite et donc de gagner de l’argent. C’est la rentabilité de l’exploitation qui est en jeu.
L’outil parcellaire et les aménagements
Cette précision technique est facilitée par des outils de gestion du pâturage et des aménagements adaptés : la mise en place d’un système de clôture facilitant la circulation des animaux et la gestion de l’herbe.
Prendre du recul et analyser les chiffres
Trois fois par an, Shane Bailey, consultant Paturesens, se rend sur l’exploitation et fait le point avec Quentin. “J’imprime tous mes tableaux et chiffres, toutes mes courbes de croissance, le suivi des pesées, les frais et nous regardons ce qui peut être amélioré et aussi où l’on peut gagner du temps et de l’efficacité.”
Même si Quentin est rigoureux et a développé ses compétences, ce regard extérieur permet de prendre du recul sur le système et de “ne pas s’endormir”.
Le plaisir et la fierté d’être éleveur
Quentin est salarié responsable de l’élevage et de la gestion du pâturage, mais quand il parle de la ferme, on ne fait pas la différence : c’est aussi un peu son projet qu’il porte.
“Je suis fier de contribuer à produire une alimentation de qualité pour les êtres humains et qui respecte le bien-être animal et l’environnement.”
Il souligne qu’il est important pour lui de travailler dans un cadre où il s’épanouit et en accord avec ses valeurs. « Ça doit être terrible quand tu te réveilles et que tu ne sais pas pourquoi tu fais ce que tu fais.”
Dès 17 ans, déjà passionné, il se questionne sur les systèmes d’élevage qui ne correspondent pas à ses aspirations : “Les cathédrales, cela ne m’a jamais fait rêver et le hors-sol non plus.”
À 18 ans, après sa rencontre avec John et Shane Bailey, il est convaincu que le pâturage sera sa voie dans l’élevage.
Pour lui, l’élevage, c’est avant tout le plaisir de gérer son système et de produire de la qualité. “J’aime aussi l’aspect ludique du pâturage, c’est comme un jeu : tu peux tout ajuster, tout mesurer, même si parfois tu te poses plein de questions, quand le climat est compliqué, par exemple.”
Quentin est sensible au bien-être animal : “Quoi de plus beau que de voir des animaux en pleine santé, dans la garrigue ou dans les prairies ? »
Quand on le questionne sur les contraintes liées à la gestion du pâturage, il répond :
“Pour certains, le confort, c’est d’être dans un tracteur et à l’abri dans un bâtiment. Moi, ça ne me dérange pas d’être à l’extérieur, même si parfois c’est loin d’être de tout repos. Il faut faire le tour des parcelles, régler les problèmes de clôture, d’abreuvement, rattraper des animaux, etc. Cela ne me dérange pas, je préfère ça plutôt que de pousser le fumier.”
Dans un contexte où le monde agricole est sous tension et morose, l’enthousiasme de Quentin et la qualité du projet de la ferme de Fajac d’un point de vue humain, social et économique donnent un exemple intéressant pour ceux qui souhaiteraient développer de nouveaux projets. La relève se prépare, avec d’autres aspirations et d’autres modèles.
QUESTIONS POUR LA SUITE ET PISTES D’AMÉLIORATION :
Comment gérer les étés de plus en plus longs ?
Revoir la conduite des veaux après sevrage.
Possibilité de mettre en place de l’irrigation (lac au milieu de la ferme).
Aménagement
Clôturer avec 2 fils pour les veaux.
Charges mécaniques
Mieux gérer la distribution de la complémentation.
Frais de complémentation minérale
Comment améliorer la qualité du sol ?